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octobre 10, 2025

Égalité et non-discrimination : décisions européennes récentes

L’essentiel à savoir

Points clésActions et mise en œuvre
Évolution du principe d’égalité européen d’une logique économique vers des droits fondamentauxConstitutionnaliser l’égalité par la Charte des droits fondamentaux depuis 2009
Distinction entre égalité abstraite et non-discrimination opératoireAppliquer le test de proportionnalité et vérifier la comparabilité des situations
Émergence de la discrimination indirecte par critères apparemment neutresRenverser la charge de la preuve sur le défendeur présumé discriminant
Impact sur le droit français de la fonction publique et recrutementsSupprimer les limites d’âge automatiques et faciliter l’accès au juge
Encadrement strict des mesures de discrimination positive temporairesÉvaluer régulièrement l’efficacité et maintenir le caractère proportionné des dispositifs
Défi de transformation de l’égalité juridique en égalité réelleIntégrer une perspective d’égalité transversale dans toutes les politiques européennes

L’égalité et la non-discrimination constituent aujourd’hui des piliers incontournables de l’ordre juridique européen. Ces principes, initialement conçus pour faciliter l’instauration d’un marché commun, ont progressivement évolué pour devenir de véritables droits fondamentaux de la personne humaine. Les décisions européennes récentes témoignent de cette transformation profonde, marquant l’émergence d’un espace européen de protection des droits où l’égalité transcende sa dimension purement économique.

La Cour de justice de l’Union européenne joue un rôle déterminant dans cette évolution, érigeant progressivement l’égalité en principe de droit constitutionnel. Cette jurisprudence influence directement les ordres juridiques nationaux, contraignant les États membres à adapter leurs législations et leurs pratiques administratives. Nous observons ainsi une harmonisation croissante des standards de protection, particulièrement visible dans les récentes modifications procédurales adoptées par les juridictions nationales.

Ces développements jurisprudentiels récents révèlent également les défis contemporains de l’effectivité. Comment transformer l’égalité juridique en égalité réelle ? Comment concilier les spécificités nationales avec l’exigence d’uniformité européenne ? Ces questions traversent les décisions les plus marquantes de ces dernières années, dessinant les contours d’un droit européen de l’égalité en constante évolution.

Les fondements juridiques de l’égalité et de la non-discrimination dans l’ordre européen

L’égalité comme principe structurel de l’Union européenne

L’égalité de traitement trouve ses origines dans les traités fondateurs des Communautés européennes, particulièrement le traité de Rome de 1957 qui établissait le principe de salaire égal pour un travail égal entre hommes et femmes. Cette disposition, initialement instrumentale pour éviter les distorsions de concurrence sur le marché commun, a progressivement acquis une dimension constitutionnelle fondamentale.

La Cour de justice de l’Union européenne a joué un rôle déterminant dans cette mutation conceptuelle. Dès l’arrêt Defrenne II de 1976, elle a reconnu l’effet direct du principe d’égalité salariale, permettant aux particuliers d’invoquer directement ce droit devant les juridictions nationales. Cette décision marquait le passage d’une logique purement économique vers la reconnaissance de droits fondamentaux opposables.

L’évolution s’est accélérée avec l’adoption de la Charte des droits fondamentaux en 2000, devenue juridiquement contraignante avec le traité de Lisbonne en 2009. Cette charte proclame que l’égalité doit être assurée dans tous les domaines, dépassant largement le cadre du marché intérieur pour embrasser l’ensemble des activités humaines et sociales.

PériodeÉvolution conceptuelleImpact juridique
1957-1975Égalité instrumentale (marché commun)Principe de salaire égal entre hommes et femmes
1976-1999Reconnaissance de l’effet directDéveloppement jurisprudentiel des droits subjectifs
2000-2009ConstitutionnalisationCharte des droits fondamentaux
Depuis 2009Effectivité et intégration transversaleStratégies européennes d’égalité

Cette transformation révèle la double vocation du principe d’égalité européen. D’une part, il fonde un statut de citoyen européen garantissant un même traitement juridique indépendamment des nationalités. D’autre part, il constitue la pierre angulaire des fondements axiologiques de l’Union, participant à la construction d’une identité européenne commune fondée sur des valeurs partagées.

La jurisprudence récente confirme cette approche extensive. L’égalité ne se limite plus aux seules situations concrètes de discrimination mais irrigue l’ensemble de l’action publique européenne. Cette évolution impose aux institutions européennes comme aux États membres une obligation d’intégration transversale de la dimension égalitaire dans toutes leurs politiques.

La distinction conceptuelle entre égalité et non-discrimination

La Cour de justice a progressivement clarifié la distinction entre égalité et non-discrimination, deux concepts qui se supposent mais fonctionnent de manière autonome. L’égalité représente une mesure abstraite des relations humaines, une quête philosophique et politique qui siège essentiellement hors du droit européen stricto sensu.

La non-discrimination, à l’inverse, constitue une formulation négative mais opératoire de l’égalité. Elle vise la correction concrète du désordre engendré par certaines formes d’inégalités identifiables et sanctionnables juridiquement. Cette approche pragmatique confère au principe de non-discrimination une efficacité plus grande que le principe général d’égalité pour reconnaître et sanctionner les traitements défavorables illégitimes.

L’arrêt fondateur Italie/Commission du 17 juillet 1963 a établi la conception matérielle de la discrimination retenue par la jurisprudence européenne. Selon cette définition, la discrimination matérielle consiste à traiter soit de manière différente des situations similaires, soit de manière identique des situations différentes.

Cette approche implique un contrôle juridictionnel exigeant où le juge administratif doit systématiquement vérifier la comparabilité des situations avant d’apprécier si le traitement correspond effectivement aux réalités factuelles. L’existence d’un traitement défavorable ne peut être constatée de manière générale et abstraite, mais doit l’être de manière spécifique et contextualisée.

  • Critères de justification objective : Toute différence de traitement doit reposer sur des éléments objectifs et vérifiables, étrangers à tout critère prohibé par le droit européen
  • Test de proportionnalité : Les mesures adoptées doivent être appropriées, nécessaires et proportionnées aux objectifs légitimement poursuivis par l’autorité compétente
  • Contrôle de cohérence : L’administration doit confirmer la cohérence de sa politique et l’absence d’arbitraire dans l’application des critères retenus

Cette distinction conceptuelle permet de comprendre pourquoi certaines inégalités peuvent être légalement admises en droit de l’Union européenne, particulièrement lorsqu’elles sortent du champ d’application des traités ou répondent à des justifications objectives reconnues. La discrimination, elle, demeure illégale dès lors qu’elle repose sur des critères de discrimination prohibés sans justification légitime.

L’émergence de la discrimination indirecte

La notion de discrimination indirecte constitue l’une des évolutions jurisprudentielles les plus significatives du droit européen contemporain. Cette construction prétorienne répond aux limites de l’approche traditionnelle de la discrimination directe, souvent insuffisante pour appréhender les mécanismes subtils d’exclusion et de marginalisation.

Les discriminations indirectes se caractérisent par l’utilisation de critères apparemment neutres qui affectent concrètement un groupe social identifié par un critère prohibé. Contrairement à la discrimination directe, fondée sur l’utilisation explicite d’un critère interdit, la discrimination indirecte procède par détour, utilisant des critères formellement admissibles mais aux effets discriminatoires avérés.

Les directives européennes ont progressivement précisé cette notion fondamentale. Une discrimination indirecte se produit lorsqu’une disposition apparemment neutre est susceptible d’entraîner un désavantage particulier pour certaines personnes, caractérisées par leur origine, leur sexe, leur âge ou toute autre caractéristique protégée, sans justification objective et raisonnable.

Cette approche permet un contrôle préventif remarquable de toute pratique avant ses effets réels sur les populations concernées. Elle s’accompagne d’un mécanisme procédural essentiel : le renversement de la charge de la preuve sur le défendeur, qui doit attester l’absence d’intention discriminatoire et la justification objective de ses décisions.

Les juridictions nationales ont progressivement intégré cette approche européenne dans leurs pratiques contentieuses. En France, l’arrêt d’assemblée du Conseil d’État Mme Perreux du 30 octobre 2009 a adapté les règles probatoires traditionnelles du contentieux administratif pour tenir compte de ces évolutions européennes.

Vue aérienne d'une salle de conseil avec drapeau américain

L’impact des décisions européennes sur les systèmes juridiques nationaux

L’influence sur le droit français de la fonction publique et de l’égalité

L’influence du droit européen sur les systèmes juridiques nationaux se manifeste particulièrement dans l’évolution du droit français de la fonction publique. Les décisions européennes ont contraint le législateur et le juge national à repenser fondamentalement les mécanismes traditionnels de recrutement, d’avancement et de gestion des carrières administratives.

L’arrêt d’assemblée Mme Perreux du 30 octobre 2009 illustre parfaitement cette adaptation jurisprudentielle. Le Conseil d’État y a défini des règles de preuve spécifiques pour le contentieux des discriminations, rompant avec la tradition française de la charge de la preuve incombant intégralement au requérant.

Désormais, il appartient au requérant de soumettre des éléments de fait susceptibles de faire présumer une discrimination, tandis qu’il incombe au défendeur de produire des éléments établissant que la décision repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination. Cette évolution procédurale majeure facilite considérablement l’accès au juge pour les victimes présumées de discriminations.

Les discriminations selon l’âge dans la fonction publique ont fait l’objet d’une jurisprudence particulièrement riche. La Cour de justice de l’Union européenne a progressivement remis en question les conditions d’âge traditionnellement imposées pour l’accès aux concours administratifs, considérant qu’elles constituaient des discriminations indirectes potentielles.

Cette jurisprudence européenne a entraîné la suppression progressive des limites d’âge supérieures pour l’accès à la fonction publique française. Seules demeurent justifiées les restrictions liées à des exigences professionnelles essentielles et déterminantes, comme certaines fonctions de sécurité publique nécessitant des capacités physiques particulières.

Type de discriminationÉvolution jurisprudentielleImpact sur la fonction publique française
Discrimination selon l’âgeRemise en question des limites d’âge automatiquesSuppression progressive des conditions d’âge pour les concours
Discrimination selon le sexeApprofondissement du contrôle en matière de retraitesHarmonisation des régimes de pension et avantages familiaux
Discrimination selon l’origineExtension du contrôle aux mesures d’ordre intérieurNouvelle recevabilité contentieuse des actes discriminatoires

Les discriminations entre hommes et femmes ont également bénéficié d’un approfondissement significatif du contrôle juridictionnel. La jurisprudence européenne a particulièrement scruté les régimes de retraite et les avantages familiaux accordés aux fonctionnaires, identifiant de nombreuses disparités injustifiées entre les sexes.

Le Conseil d’État a par ailleurs adapté ses critères de recevabilité pour le contentieux des discriminations. Il admet désormais le recours contre certaines mesures d’ordre intérieur lorsqu’elles traduisent une discrimination, élargissant ainsi considérablement le champ du contrôle juridictionnel en matière d’égalité de traitement.

Les mesures de discrimination positive et leur encadrement

La reconnaissance juridique des mesures de discrimination positive constitue l’une des évolutions les plus délicates du droit européen contemporain. Ces actions positives visent à corriger des inégalités structurelles persistantes en accordant temporairement des avantages spécifiques aux groupes historiquement désavantagés.

La Cour de justice a progressivement admis ces mesures sous conditions strictes. Elles doivent répondre à un intérêt général avéré, être proportionnées à l’objectif poursuivi et présenter un caractère temporaire. L’évaluation de ces conditions nécessite une analyse contextuelle approfondie des inégalités structurelles que ces mesures entendent corriger.

En France, cette évolution européenne a conduit à d’importantes modifications constitutionnelles. La révision de 1999 a introduit dans la Constitution l’objectif de favoriser l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives. Cette modification a été complétée en 2008 par l’extension aux responsabilités professionnelles et sociales.

Ces modifications constitutionnelles témoignent de la réceptivité du droit français aux évolutions européennes en matière d’égalité des chances. Elles autorisent désormais des mesures préférentielles temporaires, sous réserve du respect du principe de proportionnalité et de l’absence d’automaticité dans l’attribution des avantages.

  1. Conditions de légitimité : Les mesures de discrimination positive doivent répondre à des inégalités structurelles objectivement constatées et documentées
  2. Exigence de proportionnalité : L’ampleur des mesures doit correspondre à l’importance des déséquilibres identifiés, sans créer de nouvelles discriminations
  3. Caractère temporaire : Ces dispositifs doivent prévoir leur propre extinction une fois les objectifs d’égalité atteints
  4. Contrôle d’efficacité : Les autorités compétentes doivent évaluer régulièrement l’impact de ces mesures et adapter leurs modalités d’application

L’harmonisation européenne des organismes de promotion de l’égalité représente une avancée majeure récente. Les nouvelles directives accordent des pouvoirs d’enquête et d’intervention devant les juridictions à ces organismes nationaux, avec des garanties renforcées d’indépendance et de ressources suffisantes.

Cette évolution institutionnelle vise à professionnaliser la lutte contre les discriminations et à harmoniser les standards de protection dans l’ensemble de l’Union européenne. Les organismes nationaux bénéficient désormais de compétences élargies leur permettant d’intervenir de manière proactive dans la prévention et la sanction des discriminations.

Les défis contemporains d’effectivité

La transformation de l’égalité juridique en égalité réelle constitue le défi majeur des politiques européennes contemporaines. Malgré l’arsenal juridique développé depuis plusieurs décennies, les inégalités persistent dans de nombreux domaines, révélant les limites des approches purement normatives.

La stratégie européenne 2020-2025 pour l’égalité entre les femmes et les hommes illustre cette prise de conscience institutionnelle. Cette stratégie vise l’intégration d’une perspective d’égalité dans toutes les politiques de l’Union, dépassant l’approche sectorielle traditionnelle pour adopter une démarche transversale systématique.

Cette approche d’intégration transversale (gender mainstreaming) impose à toutes les institutions européennes d’évaluer l’impact différencié de leurs politiques sur les hommes et les femmes. Elle s’accompagne de mesures concrètes comme l’extension de la criminalité aux violences sexistes et la promotion de la participation équilibrée aux processus décisionnels.

Les récentes directives sur les normes pour les organismes de promotion de l’égalité témoignent de cette évolution stratégique. Ces textes harmonisent le fonctionnement des organismes nationaux et consolident leurs pouvoirs d’investigation et de sanction. Ils imposent aux États membres des standards minimums d’indépendance, de ressources et de compétences.

L’enjeu central demeure celui de l’adaptation des outils juridiques aux évolutions sociales contemporaines. Les nouvelles formes de discrimination, notamment liées à l’origine sociale ou aux origines ethniques, nécessitent des approches renouvelées que le droit traditionnel peine à appréhender efficacement.

La question de la discrimination selon l’origine illustre parfaitement ces défis d’adaptation. Alors que les droits de l’Homme européens prohibent clairement ces discriminations, leur identification et leur sanction demeurent complexes. Les critères objectifs traditionnels s’avèrent souvent inadéquats pour saisir des mécanismes discriminatoires subtils et systémiques.

Le défi du respect du principe de subsidiarité européenne ajoute une dimension politique à ces enjeux juridiques. Comment concilier l’harmonisation des standards de protection avec le respect des spécificités nationales et des choix démocratiques des États membres ? Cette tension traverse l’ensemble des décisions européennes récentes en matière d’égalité et de non-discrimination.

Les développements jurisprudentiels les plus récents témoignent de cette recherche d’équilibre délicat. La Cour de justice tend à renforcer le contrôle de proportionnalité tout en préservant une marge d’appréciation nationale pour la mise en œuvre concrète des principes européens. Cette évolution révèle la maturité croissante d’un droit européen de l’égalité soucieux de son effectivité pratique autant que de sa cohérence théorique.

Nous constatons ainsi que l’égalité et la non-discrimination européennes ne constituent plus seulement des principes juridiques abstraits mais des outils concrets de transformation sociale. Leur effectivité dépend désormais de la capacité des acteurs institutionnels à articuler harmonieusement exigences européennes et réalités nationales, dans le respect des valeurs démocratiques communes qui fondent la construction européenne.